Habiter le paysage
Après avoir fait des kilomètres, en hiver, entre les auberges et les endroits propices aux aurores, pouvoir dormir sur place, sans avoir à faire de route à trois heures du matin, nous faisait envie… À cela, plusieurs solutions : la tente, le campervan ou le camping-car.
Sur internet, on trouve le commentaire presque convaincant d’un Islandais qui dit que ce n’est pas pour rien que les locaux mettent leurs camping-cars au garage pendant l’hiver : vent, glace, froid…
Après avoir un peu réfléchi, on part une vingtaine de jours en janvier 2016, à deux dans un Ducato quatre places. Voici un retour d’expérience.
La conduite
Avant de commencer, précisons qu’on est déjà allés plusieurs fois en Islande et en Norvège en hiver, qu’en France, on habite pas loin de la montagne, et qu’on a l’habitude de la conduite sur neige, avec une voiture, mais pas avec une maisonnette de près de trois tonnes.
Un poids
Malgré les quatre pneus cloutés, le camping-car révèle assez vite comme un caractère fuyant dans les légers dévers ou les virages enneigés. Les montagnards disent souvent que la meilleure voiture pour la neige, c’est la Panda, parce qu’elle n’est pas emportée par son poids. Je n’en dis pas plus, mais au volant de notre studio ambulant, je serais tenté de les croire.
Les nuages vont vite
L’Islande est le paradis des nuages et du vent. S’il ne devait y rester qu’une règle au code de la route, ce serait celle de prendre la météo (www.vedur.is) avant de desserrer le frein à main. Chacun ses limites. Pour le loueur, c’est 20 m/s. Il nous dit, en nous remettant les clés, qu’il nous enverra un SMS si les prévisions annoncent plus de 72 km/h de vent. Il n’aura pas à le faire, le maximum qu’on rencontre est dans les 17 m/s. Avec ce vent, on roule à une trentaine de kilomètres par heure, on s’accommode des rafales qui peuvent donner des coups de chaud de temps en temps, et on regarde avec émerveillement la neige fraîche des environs gagner la route en nuages virevoltants pour y former congères. En somme, on est content une fois garés en sécurité.
Lorsqu’on rend les clés, à la fin du séjour, le loueur nous parle d’un camping-car qui s’est renversé à cause du vent, dans le sud. On n’est pas mécontents d’être aller au nord après avoir compulsé la météo, même si l’on n’a pas échappé à quelques passages qui ont le mérite de faire des souvenirs.
La route, ce ruban blanc entre les poteaux jaunes
Le vent est une chose, la neige et la glace en sont une autre. En plus de la météo, il n’est pas insensé de consulter l’état des routes sur internet (www.road.is), ou de se renseigner dans une station service. Pour ça aussi, chacun ses limites (http://www.road.is/travel-info/road-conditions-and-weather/definitions/). Jusqu’à « difficult driving », nous, on y va, en adaptant le nombre d’étapes si nécessaire (on se doute que ce sera long et fatigant). « Difficult road conditions », par contre, nous fait complètement changer nos plans. On roule en chambre à coucher, pas en 4×4 de franchissement.
Heureusement, la plupart du temps, on n’est pas seul sur la route : il y a aussi le GPS. Un soir, avant de regagner un endroit qu’on connait à l’ouest d’Akureyri, on vérifie sur internet l’état de la chaussée : les axes principaux qu’on veut emprunter sont en bon état. On met le GPS pour avoir une idée de la distance et on part, sans vérifier l’itinéraire proposé par la machine. À un moment, sans que cela nous paraisse absurde, le GPS nous fait quitter la route principale. Pas de problème, la route de graviers est tout-à-fait praticable, malgré son enneigement. Les voyants restent au vert, on ne s’inquiète pas trop. Ils passent à l’orange après deux ou trois kilomètres. Dans le premier tiers d’une petite côte, le camping-car patine. Non seulement il refuse de monter, mais en plus, il glisse en arrière, même avec la pédale du milieu enfoncée. Dans la tête, les voyants passent vite au rouge. Heureusement, l’âne mort finit par s’arrêter après un mètre ou deux sans contrôle (ça semble plus long). Je sors inspecter la route avec une lampe torche. Sous un centimètre de neige innocente se trouve une couche de glace contre laquelle on ne peut rien. Heureusement, en bas de la côte, un espace permet de faire faire demi-tour à notre brique, et l’on finit par retrouver la route initiale. Une fois arrivés, on vérifie l’état de la route sur internet : le raccourci du GPS est classé « Difficult road conditions » à partir de la pente verglacée…
Corollaire : ne pas hésiter à s’arrêter devant un bout de chemin suspect et à aller voir de plus près à pieds. Certaines promenades s’en trouveront peut-être allongées, mais…
Je passe sur la petite session de sport de glisse à Reykjavík. Il faut être inconscient pour se garer cinq minutes sur le parking fréquenté d’une auberge de jeunesse ouverte. Comme d’habitude : de la glace et un peu de pente (ici, trois fois rien, le commun des automobilistes dirait que c’est plat.) Le poids aidant, les pneus cloutés se bornent à griffer la couche de glace dure, quelles que soient les manœuvres tentées. Résultat : 1h30 à mettre du gravier sous les roues et à avancer par tranches de trente ou cinquante centimètres jusqu’à rejoindre la route, à même pas dix mètres de là. Merci la pelle à neige et le seau…
Home sweet home
Camping
Le premier confort du camping-car, c’est de pouvoir manger et dormir où ce n’est pas possible autrement. En hiver, c’est le seul confort. On oublie la douche et la vaisselle à l’eau courante : réserve d’eau et cuve d’eaux grises sont hors service à cause du gel. Restent les toilettes chimiques, un jerrican de 20 L d’eau potable, une gazinière, un frigo et du chauffage : plus qu’il n’en faut pour être heureux.
La vaisselle, on la fait avec de la neige (abrasive), de l’essuie-tout et sans liquide vaisselle. La douche, on la prend à la piscine (les meilleures du monde se trouvent en Islande, ça tombe bien.)
Les premières nuits, on laisse le chauffage allumé du début du diner à la fin du petit-déjeuner. C’est à la fin de la deuxième bouteille de gaz, en quatre ou cinq jours, qu’on prend conscience que c’est un rythme dispendieux. Désormais, on met du chauffage le temps de manger, on l’éteint la nuit (vive les gros duvets, par -5°C dehors), et on l’allume une heure avant le petit-déjeuner. Courage, ceux qui se relèvent la nuit !
Les toilettes chimiques…
Les points de vidange ouverts l’hiver ne sont pas courants. Mieux vaut anticiper la question, c’est-à-dire vidanger quand on peut, même si ce n’est pas plein.
Points expérimentés en janvier 2016, sur un trajet sud ouest nord :
- Reykjavik, Klettagarðar 14 (64.15556, -21.87329) (sans eau en hiver)
- Garður, Skagabraut (64.082566, -22.69193) (avec de l’eau chaude !)
- Stykkishólmur, Aðalgata, (65.0707, -22.7330) (sans eau en hiver)
- Akureyri, dans une station service dont j’ai oublié le nom. Pour la petite histoire, c’est le premier point qu’on a cherché. Comme on l’a trouvé très facilement, on s’est dit qu’il en serait de même ensuite. Erreur !…
Se poser
Une petite question, quand on est au volant de ce gros truc blanc, est de trouver où passer la nuit sans ennuyer le monde. On a pratiqué, sans rencontrer de problème : parkings publics excentrés, accotements larges le long de routes de graviers peu fréquentées, entrée de champ avec l’accord du propriétaire, parkings de campings fermés l’hiver. À Reykjavík, le parking de Grotta n’est pas des plus calmes : romantique, un peu à l’écart, des voitures y viennent à toutes heures de la nuit, laissant tourner leur moteur avant de repartir.
Détail pratique : pour éviter de trop se faire bercer, on peut positionner la cabine dans le sens du vent, portes s’ouvrant contre le vent…
Seuls au monde
Et petite anecdote pour la fin : à cinquante kilomètres de Reykjavik, par une belle nuit propices aux aurores, on repère sur la carte un bon endroit pour les voir, et dormir ensuite.
Arrivés sur place dans l’après-midi, on s’étonne de trouver facilement une petite aire déneigée le long d’une route fort peu fréquentée. On s’installe, dine, se prépare à sortir, et voilà que se gare à côté un car de cinquante passagers, venus observer la même chose que nous. Surprise bis : à deux cents mètres, sur un grand parking, ils sont plusieurs à s’être donné le mot. Le restaurant, qui nous semblait fermé pour la saison, est ouvert pour les boissons chaudes.
En résumé
Pour apprécier le camping-car en hiver, c’est mieux d’aimer le camping et de pouvoir se passer, sans ronchonner, du confort de base d’un studio équipé.
Pour ce qui est de la conduite, je ne dirais à personne : “c’est bon, vous pouvez y aller.” Toutes les conditions de route peuvent être rencontrées, des plus saines aux plus dégradées. Il faut avoir conscience des limites et savoir modifier ses plans en fonction de la météo. En gros, on ne fait pas le malin quand on conduit une salle de bain (pardon).